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Cette théorie de la stupidité qui explique pourquoi Internet part en couille

par Korben ✨ -

Je me suis encore tapé une bonne petite insomnie cette nuit, donc je me suis levé pour bosser et je suis tombé tout à fait par hasard sur ce PDF qui présente la “Théorie de la stupidité” de Dietrich Bonhoeffer, complété par une analyse de Carlo Cipolla sur “les lois fondamentales de la stupidité humaine”.

Je ne connaissais pas ces 2 gars ni leurs écrits, mais franchement, tous les jours ou presque je vois l’ampleur de la catastrophe et ça fait grimper ma pression artérielle. Et comme je ne comprends pas bien ce phénomène et que je ne sais pas trop comment m’y prendre pour y faire face, ça a évidemment attiré mon attention et je voulais partager ça avec vous.

À gauche Dietrich Bonhoeffer, à droite Carlo Cipolla

Bon, je suppose qu’aucun d’entre vous ne croit encore que les algorithmes des GAFAM sont juste de gentils petits outils pour personnaliser votre feed. Enfin j’espère ! On aura mis du temps à piger le truc, mais ce qui est dingue c’est qu’un théologien exécuté par les nazis en 1945 et un économiste italien un peu rigolo avaient déjà tout décortiqué il y a des décennies. Tout ce que Facebook, X, TikTok et compagnie utilisent aujourd’hui pour transformer vos proches en zombies désinformés, ces deux gars très intelligents l’avaient déjà cerné et théorisé.

Allez, je ne vais pas tourner autour du pot. LA question qui fâche et à laquelle je vais essayer de répondre dans cet article c’est : Pourquoi des gens tout à fait normaux deviennent soudainement complètement hermétiques aux faits et à la réalité de notre monde ?

Et surtout, on va voir à la fin ce qui m’obsède le plus : Comment peut-on se protéger de cette épidémie cognitive et comment lutter contre ?

La bonne nouvelle c’est que ces réponses se trouvent dans les travaux de nos chers Dietrich Bonhoeffer et Carlo Cipolla. Mais attention, petit disclaimer important avant qu’on plonge dans le vif du sujet :

Je sais d’expérience que c’est trèèèès tentant de coller l’étiquette “stupide” sur tous ceux qui ne pensent pas comme nous. C’est d’ailleurs un des pièges dans lesquels je suis moi-même tombé. Mais Bonhoeffer et Cipolla parlent de quelque chose de beaucoup plus spécifique et profond que la simple ignorance ou le fait d’être mal informé. On va voir ensemble que la “stupidité” dont ils parlent, c’est pas juste “ne pas savoir” ou “se tromper”. C’est plutôt un mécanisme psychologique et social bien particulier qu’il faut comprendre pour pouvoir s’en protéger. Et spoiler alert, on est tous susceptibles d’y succomber à un moment ou un autre.

Commençons par Dietrich Bonhoeffer : Doctorat en théologie à 21 ans avec la mention summa cum laude (le truc le plus prestigieux qui existe), et une formation internationale à Berlin, New York et Barcelone… Bref, c’était à son époque l’excellence académique incarnée. Et pour vous donner une idée du pedigree familial, son père dirigeait le service psychiatrie de la Charité de Berlin et fut l’un des rares médecins à s’opposer au programme d’euthanasie des nazis.

Dès 1933, Bonhoeffer prend alors clairement position contre Adolf Hitler. Pour lui, impossible d’être à la fois national-socialiste et chrétien. Et au bout d’un moment, il passe à l’acte puisqu’il rejoint carrément la conspiration pour buter Hitler. Il est alors arrêté le 5 avril 1943, puis exécuté le 9 avril 1945, soit quelques jours seulement avant la libération de son camp. Dommage.

Ce qui l’a caractérisé toute sa vie c’est surtout cette cohérence totale entre sa pensée et ses actions. Ça lui a donné une autorité morale qui tient encore aujourd’hui et qu’aucun influenceur de notre époque ne peut égaler (désolé les gars ^^).

De l’autre côté, on a Carlo Cipolla (1922-2000) qui applique sa rigueur d’économiste à l’analyse de la stupidité humaine. Professeur à UC Berkeley, membre de l’American Academy of Arts and Sciences, lauréat du prix Balzan… C’est vraiment pas le rigolo du bistro du coin, mais un chercheur de très haut niveau. Son essai “Les lois fondamentales de la stupidité humaine” (1976) s’est même vendu à l’époque à plus de 350 000 exemplaires en Italie.

Et ce qui est génial, c’est que ces deux-là ont abordé la stupidité sous des angles complémentaires. Bonhoeffer l’a vécue en direct avec la montée du nazisme, Cipolla l’a analysée de manière plus distanciée et avec un humour pince-sans-rire. Bref, nos deux gaillards ont le pedigree intellectuel ET l’expérience pour comprendre comment des sociétés entières peuvent partir complètement en vrille.

C’est donc en décembre 1942, après dix ans à observer le nazisme, que Bonhoeffer sort sa théorie révolutionnaire. L’Allemagne vient de proclamer la “guerre totale” après Stalingrad, la “Solution Finale” bat son plein, et la propagande de Goebbels atteint des sommets. Bonhoeffer se demande alors comment un “pays de poètes et de penseurs” a pu se transformer en machine génocidaire.

Et là, sa définition de la stupidité fait tout exploser. Il balance : “La stupidité n’est pas un défaut intellectuel, mais moral”. Des professeurs d’université participent aux pogroms pendant que des ouvriers sans instruction résistent. La stupidité selon Bonhoeffer, c’est donc le refus volontaire d’exercer son jugement critique. Comme il le dit : “Il y a des gens extraordinairement mobiles intellectuellement qui sont stupides, et des gens très maladroits intellectuellement qui sont tout sauf stupides.

Pour être vraiment clair sur ce point, Bonhoeffer ne parle pas des gens qui manquent d’éducation ou qui se trompent de bonne foi. Il parle de ceux qui choisissent de ne pas penser, qui abandonnent délibérément leur capacité de jugement pour le confort de suivre le groupe ou l’autorité. C’est une abdication volontaire de la responsabilité intellectuelle, et absolument pas un manque de capacité. Et c’est ça qui rend le truc si dangereux, car on peut être brillant et stupide à la fois !

Le mécanisme qu’il décrit est glaçant de simplicité : “le pouvoir de l’un a besoin de la stupidité de l’autre.”

C’est systémique ! Ainsi, chaque montée en puissance d’une entité (dictateur, gouvernement…etc.) génère automatiquement sa dose de stupidité collective. Les gens abandonnent leur autonomie intellectuelle pour devenir des outils du pouvoir. Et contrairement aux méchants qui gardent une logique, le stupide est “parfaitement satisfait de lui-même” et devient agressif face aux contradictions.

Mais attendez, il y a mieux (ou pire, selon le point de vue) : “Les faits qui contredisent ses propres préjugés ne sont tout simplement pas crus”. Cette analyse avait 80 ans d’avance sur nos débats stériles dans nos petites bulles algorithmiques sur les réseaux sociaux et je parie que vous reconnaissez le pattern…

Alors oui, je sais ce que vous pensez : “Hé, tu compares vraiment Facebook au nazisme là ?” Non, évidemment que les échelles et les conséquences ne sont pas comparables. Mais les mécanismes psychologiques sous-jacents que Bonhoeffer a identifiés à savoir l’abandon volontaire du jugement critique, la soumission intellectuelle au groupe ou encore le rejet des faits contradictoires sont des schémas qui se retrouvent dans plein de contextes différents. C’est justement ça qui rend son analyse si puissante, car elle décrit des vulnérabilités humaines universelles et pas juste un moment historique spécifique.

On l’a tous vécu d’ailleurs en discutant avec ce type de personnes sur les réseaux ou dans un repas de famille. Vous savez, ceux qui refusent de croire aux études scientifiques sur les vaccins, mais qui gobent sans broncher une vidéo YouTube de 3h sur les reptiliens, la terre plate, ou les citoyens souverains. C’est un buffer overflow mental où les faits débordent et font planter le système cerveau.

Cipolla complète aussi parfaitement Bonhoeffer avec son approche quantifiée. Il nous livre 5 lois qui forment un système économique cohérent basé sur les gains et les pertes. Vous allez adorer :

  • Loi 1 : On sous-estime toujours le nombre de gens stupides en liberté. C’est vérifié quotidiennement sur Twitter, Facebook, TikTok et compagnie. Combien vous pensez qu’il y a de personnes stupides dans vos flux ? Multipliez par dix, vous y serez presque.
  • Loi 2 : La stupidité est équitablement distribuée dans toutes les catégories sociales. C’est quasi-génétique selon Cipolla. Votre diplôme d’ingénieur ne vous immunise pas, désolé.
  • Loi 3 : Le stupide cause des pertes à autrui sans en tirer de bénéfice, voire en se faisant du mal. Cette définition économique rejoint l’analyse morale de Bonhoeffer qui dit que la stupidité est destructrice par essence.
  • Loi 4 : On sous-estime constamment le pouvoir nuisible des stupides, car ils sont imprévisibles. Pas de logique rationnelle, impossible d’anticiper. C’est comme des attaques DDoS humaines sans coordination centralisée.
  • Loi 5 : La personne stupide est le type le plus dangereux qui existe. Plus qu’un criminel dont on peut anticiper la logique égoïste, le stupide agit sans plan cohérent. C’est la roulette russe sociale !

Et alors comment est-ce qu’on en est arrivé là ?

Une étude du Pew Research Center nous apprend que 47% des Américains connaissaient QAnon en 2020, et 41% des Républicains qui en avaient entendu parler considéraient ses théories comme “bénéfiques pour le pays”. Ces fameux “digital soldiers” sont l’illustration parfaite de la transformation d’intelligences individuelles en stupidité collective amplifiée. Ils causent des dégâts sociaux massifs sans gain personnel. C’est LA définition même de la stupidité de Cipolla.

Et c’est là que ça devient vraiment malsain puisque les plateformes qu’on utilise tous ont littéralement monétisé la stupidité. Plus un contenu génère de controverse, plus ça rapporte. L’engagement prime sur la vérité, transformant la désinformation en matière première de “qualitaaayyy”. C’est du “Stupidity as a Service” industrialisé, et ça marche du tonnerre.

Je tiens quand même à faire une distinction importante ici : les victimes de désinformation ne sont pas automatiquement “stupides” au sens de Bonhoeffer. Beaucoup sont juste mal informées, isolées dans des bulles informationnelles, ou manquent d’outils pour évaluer les sources. La vraie stupidité selon Bonhoeffer, c’est quand on refuse activement d’examiner les preuves contraires, quand on s’accroche à ses croyances par confort ou par peur du changement. C’est cette fermeture volontaire qui transforme la simple erreur en stupidité dangereuse.

Et les chiffres donnent le tournis… les fake news se propagent 6 fois plus vite que les vraies infos sur Twitter. Et Facebook a même dû implémenter des mesures d’urgence pendant les élections 2020 pour limiter la propagation de désinformation. C’est dire si c’est parti en vrille !

Tous ces algorithmes exercent ainsi un pouvoir invisible qui transforme des utilisateurs lambda parfaitement rationnels en vecteurs de désinformation. Et les parallèles avec la propagande nazie sont troublants. La répétition massive devient de la “recommandation algorithmique personnalisée”. La simplification excessive se transforme en memes viraux tout noir ou tout blanc. Et ainsi chaque utilisateur reçoit sa version “optimisée” de la réalité, créant des millions de micro-totalitarismes cognitifs. Certains osent même dire que les GAFAM ont industrialisé ce que Goebbels faisait artisanalement.

Le business model de toute cette industrie repose donc exactement sur ce que Bonhoeffer identifiait comme le cœur du problème à savoir que les algorithmes ont besoin d’utilisateurs qui partagent sans réfléchir et qui s’engagent émotionnellement plutôt que rationnellement. C’est une exploitation commerciale de la stupidité collective, et visiblement, ça rapporte des millions. Mais attention, le jeu est risqué, car ça profite naturellement au fascisme et autres extrémismes.

Maintenant qu’on a bien cerné le problème et comment il est cultivé par les plateformes, la vraie question c’est : Qu’est-ce qu’on peut faire concrètement pour s’en prémunir et lutter contre ?

Et là, on se heurte à un paradoxe fascinant… Si on ne peut pas convaincre les stupides avec des arguments rationnels (comme le dit Bonhoeffer), alors pourquoi j’écris cet article ? Pour qui ? La réponse, c’est que cet article s’adresse à ceux qui ne sont pas encore tombés dans le piège, ou qui commencent à en sortir. Il s’adresse à vous qui lisez ces lignes avec un esprit encore ouvert, qui cherchez à comprendre plutôt qu’à confirmer vos préjugés. Mon but n’est donc pas de “convertir” les irréductibles, mais de donner des outils à ceux qui veulent préserver leur lucidité et peut-être aider leur entourage à faire de même.

Dans ses écrits, Bonhoeffer affirme que “seul un acte de libération peut vaincre la stupidité.” Ça peut paraître abstrait, mais son intuition guide aujourd’hui des initiatives concrètes. Regardez la Finlande, leader européen de la résistance à la désinformation. Ils ont intégré l’éducation aux médias dès la maternelle, et résultat, 69% de confiance dans les médias traditionnels contre 29% aux États-Unis. Ça, c’est de la libération systémique !

Autre exemple concret de “libération” réussie : Les programmes de sortie de secte développés par des psychologues comme Steven Hassan. Ils ne cherchent pas à “convaincre” frontalement, mais à recréer les conditions d’une pensée autonome. Ils utilisent des questions ouvertes, encouragent la reconnexion avec d’anciennes relations, et surtout, ils créent un espace sûr où la personne peut elle-même redécouvrir sa capacité critique. C’est exactement ce que Bonhoeffer appelait “libération”, c’est à dire non pas imposer une vérité, mais restaurer la capacité de penser.

Maintenant, avant de vous donner les bonnes stratégies, il faut que vous compreniez bien qu’on ne peut PAS convaincre les personnes stupides avec des arguments rationnels. Bonhoeffer était catégorique sur ce point. C’est même “insensé et dangereux” selon lui.

Donc, oubliez immédiatement toutes ces approches vouées à l’échec :

  • Balancer des faits qui contredisent leurs préjugés (ils ne les croient tout simplement pas)
  • Se lancer dans des débats avec eux (ils deviennent critiques et dangereux quand on les confronte)
  • Essayer de les forcer ou de les contraindre (la force ne marche pas contre la stupidité)
  • Les mettre en position d’autorité par naïveté ou par compassion mal placée

Alors, comment se protéger au quotidien de cette stupidité grouillante ?

Et bah comme je vous le disais, Cipolla nous rappelle qu’on sous-estime toujours le nombre de personnes stupides dans un groupe. Donc première étape : la reconnaissance et l’évitement intelligent façon Les Pingouins de Madagascar.

Concrètement, cela donne :

  • Apprenez à identifier rapidement les gens stupides dans votre entourage pro et perso
  • Limitez les interactions avec eux autant que possible. Toute association ou interaction avec eux vous coûtera cher.
  • Préparez-vous à l’imprévisible, car leurs attaques n’ont ni logique ni timing.
  • Protégez vos ressources : c’est à dire limitez les coûts financiers, émotionnels et temporels que vous pourriez consacrer à ces personnes.

Dans le cadre du travail, surtout, documentez vos décisions pour vous protéger de leurs actions irrationnelles et créez des systèmes qui limitent les dégâts. Et dans le perso, pensez bien à fixer des limites claires et surtout, n’essayez pas de “sauver” les personnes stupides. C’est peine perdue.

De manière plus concrète, au boulot :

  • Utilisez des outils comme Slack pour garder une trace écrite des décisions importantes
  • Créez des processus de validation à plusieurs niveaux pour les décisions critiques
  • Mettez en place des “pre-mortem”. Cela consiste avant un projet, à imaginer tous les scénarios où ça pourrait foirer à cause d’actions irrationnelles.
  • Et si un manager refuse systématiquement les données chiffrées, arrêtez de perdre votre temps avec des PowerPoints détaillés et présentez-lui plutôt des histoires simples avec des visuels basiques

Maintenant, dans votre vie quotidienne numérique :

  • Installez des extensions comme “Mindful Browsing” qui ajoutent un délai avant d’accéder à certains sites addictifs
  • Utilisez la technique du “sandwich informationnel”. Pour chaque source qui confirme vos opinions, forcez-vous à lire une source contradictoire crédible.
  • Créez une “quarantaine mentale”. Mettez les infos qui vos “choquent” de côté et revenez-y 48h plus tard pour les creuser.
  • Désactivez TOUTES les notifications push sauf pour les vraies urgences (spoiler : y’en a très peu)

Et dans vos relations :

  • Utilisez la technique du “grey rock”. Devenez chiant comme la pluie face aux personnes toxiques. Des réponses courtes, neutres, sans émotion, uniquement !
  • Créez aussi des “scripts de sortie” pour les conversations qui dérivent comploplo du genre “C’est intéressant, j’y réfléchirai” puis changez de sujet
  • Identifiez vos “alliés lucides”, c’est-à-dire ces 2 ou 3 personnes avec qui vous pouvez vraiment échanger sans tomber dans ces pièges cognitifs

Maintenant, pour soigner notre propre stupidité, sachez que des solutions techniques émergent de plus en plus : algorithmes open source, outils d’évaluation de fiabilité en temps réel, mécanismes pour ralentir le partage et inciter à la réflexion. L’extension NewsGuard évalue par exemple la fiabilité des sources en temps réel. On va dans donc le bon sens.

Et surtout, nous pouvons mettre en place des rituels d’auto-évaluation.

Par exemple :

  • Chaque soir, identifiez UN moment où vous avez agi de manière “stupide” dans la journée (on en a tous)
  • Vous pouvez aussi tenir un “journal des erreurs cognitives” dans lequel vous notez tous les moments où vous avez relayé un truc sans vérifier, cru sans questionner, ou réagi émotionnellement
  • Et surtout, pratiquez la technique de l’avocat du diable avec vous-même. Pour chaque opinion “forte”, forcez-vous à argumenter le contraire avec vous-même pendant 5 minutes.

À notre niveau, l’hygiène numérique reste cruciale, car personne n’est immunisé. Mon conseil, c’est donc de diversifier vos sources avec des agrégateurs non algorithmiques comme AllSides ou Ground News. D’auditer régulièrement vos bulles de filtres en cherchant activement des opinions contraires. Et d’introduire de la friction consciente dans votre consommation d’info comme cette quarantaine mentale dont je vous parlais plus haut.

Et surtout, reconnaissez votre propre vulnérabilité, car selon Cipolla, on sous-estime tous la quantité de moments où on agit de manière stupide. On clique trop vite, on partage trop vite, sans lire, sans comprendre, sans analyser. C’est humain, mais c’est dommage.

Maintenant en termes de stratégie long terme, on n’a d’autre choix que de suivre la préconisation de Bonhoeffer à savoir une “libération”.

Concrètement, ça veut dire quoi ? Et bien, collectivement, nous devons :

  • Réduire les concentrations de pouvoir qui créent cette dynamique toxique
  • Promouvoir l’indépendance de pensée dans les écoles et les entreprises
  • Voter intelligemment et surtout, ne jamais porter des personnes stupides au pouvoir
  • Et soutenir les institutions qui favorisent la réflexion indépendante plutôt que la conformité

Par exemple, les “cafés philo” et “cafés sciences” proposent des espaces de dialogue intéressant sans enjeu de pouvoir. Il y a aussi pas mal d’initiatives de fact-checking collaboratif, des médias indépendants qui échappent à la logique du clic-clic-clic, et des écoles qui cultivent l’esprit critique dès le plus jeune âge.

Et si vous êtes en position de leadership, démontrez votre capacité à bien gérer votre équipe, faites des choix intelligents qui profitent à tous, et surtout agissez en serviteur plutôt qu’en maître. Car c’est quand le pouvoir monte à la tête qu’on génère de la stupidité collective.

Bonhoeffer suggère aussi qu’il faut parfois attendre que les conditions changent plutôt que de lutter frontalement. La stupidité étant liée aux circonstances de pouvoir, elle peut diminuer quand ces circonstances évoluent. C’est hyper frustrant, mais c’est la réalité : on ne peut pas forcer quelqu’un à sortir de la stupidité, il faut que les conditions externes changent d’abord.

C’est d’ailleurs ce qu’on a vu avec certains ex-QAnon. Ce n’est pas les arguments rationnels qui les ont fait changer d’avis, mais des changements dans leur vie (perte d’emploi, maladie, déménagement) qui ont brisé leur routine et créé un espace pour se remettre à penser par eux-mêmes. Notre rôle collectif n’est donc pas de les “convertir”, mais d’être là disponibles et bienveillants, quand ces fenêtres d’opportunité s’ouvrent.

M’enfin, l’essentiel, c’est que vous parveniez à préserver votre propre lucidité et votre propre indépendance. Donc, protégez-vous et travaillez patiemment à créer des conditions qui favorisent la sagesse collective. Par exemple, former des alliances avec d’autres personnes rationnelles peut être un bon move pour maintenir des îlots de sanité mentale dans ce monde de plus en plus chaotique. Pour nous, public tech habitué à debugger des trucs, l’idée c’est donc de patcher les failles de notre propre architecture cognitive collective.

Et ça commence par nous. C’est de notre devoir de comprendre ces mécanismes parce que contrairement aux victimes du totalitarisme, on a accès aux données, aux études, aux alternatives. Car la stupidité numérique n’est pas une fatalité, mais un choix “by design” qu’on peut collectivement refuser avec l’aide de Bonhoeffer et Cipolla, qui nous ont laissé des outils d’analyse très efficaces. À nous donc de les utiliser intelligemment, avec patience et stratégie, pour construire un monde un peu moins stupide.

Et n’oublions jamais que la lutte contre la stupidité commence par la reconnaissance de notre propre vulnérabilité face à elle. On n’est pas immunisés alors soyons vigilants.